Deux représentations de l’homme et du savoir?
A voir au Städel Museum de Francfort, le Lettré de Quentin Matsys (ca. 1525-30), et le Géographe de Vermeer (1668-69).

Le portrait d’un lettré, appelé aussi portrait d’un gentilhomme, montre un homme debout dans une large loggia à colonnes ouverte sur un paysage ouvert peint en sfumato sur lequel veille sur la droite une solide place forte. Il est habillé d’un élégant costume rouge et noir, et porte un chapeau plat (en velours ?). Sa main gauche tient une paire de lunettes et repose sur un livre entrouvert. Visiblement, il a été dérangé dans sa lecture et porte le regard vers la gauche vers l’objet de son dérangement. Il a les mains fines de celui qui ne travaille ni ne combat, les traits du visage un peu tombants et creusés qui dénotent son âge. Un homme mûr, un lettré ou un clerc sans doute versé dans les écritures, la philosophie ou les affaires.

Chez Matsys, la place de l’homme est au centre du tableau dans un avant-plan où se trouve un livre, et un arrière-plan où se distingue une nature stylisée qui se découpe derrière une double colonnade centrale. Entre la nature et la connaissance, la place de l’homme est délimitée avec soin, placée sous la surveillance d’un sévère château de campagne. Cet homme semble reflèter la position de l’homme de la Renaissance, qui redécouvre sa centralité dans un monde qu’il semble dominer.

Dans le portrait dit du Géographe, l’homme de savoir a une place entièrement différente.

Il est enfermé dans une pièce dont il reste l’élément central. Son regard et la lumière suggèrent un extérieur que l’homme interroge, tente de comprendre avec ses instruments, mais qui semble rester hors d’atteinte. C’est l’interrogation et la recherche de la connaissance qui dominent cette représentation d’un homme qui a découvert un univers plus vaste et plus mystérieux qu’il ne pouvait l’imaginer, où il n’est plus au centre. L’intérieur du Géographe, identique à l’Astronome datant de la même époque et conservé au Louvre, est un univers plus complexe, fait d’ombres et de lumières, avec deux lucarnes qui – comme des yeux – donnent sur le monde. Un monde certes en expansion, mais dont la mesure ne semble plus à l’échelle de l’homme qui doit passer par le truchement de la science et non plus par Dieu pour le comprendre et l’appréhender.

Ces deux tableaux semblent nous offrir la vision d’un passage, à plus de cent ans d’intervalle, entre deux visions de l’homme et du monde, présentant l’élargissement du monde produit par les Grandes découvertes encore trop récentes dans le premier tableau pour en saisir la portée, mais aussi un élargissement et un décentrement de la conscience. Ces deux représentations ont en commun de donner la part belle à l’homme, à la force de sa centralité pour le premier, à la douce clarté qui enveloppe le second. L’ombre est présente dans le Géographe, mais reste tapie dans les replis du drapé.